Entre la Guinée Conakry et la Meinau, à mi-chemin entre un laboratoire et une cuisine, notre espace de travail est un point de convergence.
Ici, nous produisons chaque jour du bissap, selon des recettes que nous imaginons, nous fiant chacune au souvenir que nous avons de cette boisson.
Régulièrement, nous quittons les lieux, d’abord pour nous rendre chez Elisabeth, puis chez l’une ou l’autre des ses connaissances. Ce sont des guinéennes de la Meinau mais aussi d’autres quartiers de Strasbourg, qui nous ont ouvert leurs portes simplement parce que nous avons fait l’expérience, pour un court temps, du pays d’où elles viennent.
Cela donne lieu à deux temps parallèles, celui de l’Atelier-bissap, et celui de la Meinau, que nous faisons se croiser. Conservé dans le congélateur de l’Atelier, notre bissap peut être bu par les visiteurs qui le souhaitent. Il leur suffit pour cela de se servir parmi les poches plastiques contenant la boisson : à Conakry, on en arrache un coin avec les dents pour boire à même le sachet. Mais l’Atelier est aussi l’endroit où, précieusement,
nous gardons les bissap concoctés par des guinéennes de Strasbourg. Ce bissap, qui provient autant de souvenirs de la Guinée que d’un vécu quotidien de la Meinau, nous l’avons vu préparé, expliqué, bouilli sur le feu des récits que l’on échange en cuisinant.
Sans attache culturelle à cette boisson, si ce n’est le souvenir d’un voyage, nous en expérimentons des recettes à l’Atelier-bissap. A notre retour de Guinée, nous nous sommes souvent posé cette question : comment parler d’un pays qui n’est pas le nôtre, et dont nous n’avons sans doute vu qu’une infime partie ? Comment en parler quand les images que nous en ramenons ont été teintées par notre couleur de peau ? Nous avons vu de nos yeux d’occidentales, et l’on nous a donné à voir ce pays d’une certaine manière justement parce que nous l’étions. De retour à Strasbourg, nous allons à la rencontre de personnes guinéennes qui habitent cette fois à quelques kilomètres de chez nous. Elles ont vécu le trajet inverse de la Guinée vers la France, déplacement d’une toute autre nature. Il est étonnant de voir combien l’expérience commune du goût du bissap permet de faire naître un même désir d’échange de vécu.
Cette spontanéité, lors de nos rencontres avec Elisabeth, a permis d’adoucir certaines gênes qui nous traversent, concernant la réappropriation culturelle ou encore la notion de domination occidentale.
Nous nous sommes souvent demandé quelle posture adopter à la Meinau, en tant qu’étrangères au quartier, mais habitantes d’une même ville. Pourquoi parler de migration à des personnes qui connaissent Strasbourg mieux que nous ? Elisabeth nous a simplement accueillies à bras ouverts, dissipant ces malaises. Nous sommes arrivées à la Meinau en passant par la Guinée, escale nécessaire pour pouvoir faire connaissance avec un réseau de personnes vaste, mais auquel nous n’avions pas accès.